THEATRE: "Marche salope", une pièce de théâtre sur le viol pour que la honte change de camp
AFP
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4/11/2022 9:49:27 AM - Publié par webmaster@ekilafrica.com  


"Ce n’est pas ma voix que vous entendez, mais c’est moi qui parle. […] J’utilise mon histoire comme tremplin pour témoigner. […] C’est l’histoire d’une violence". Blanc. "Je vais vous parler de viol".
Un aigle, des huitres, des airs de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem, des paroles de Barbara, une scène de crime, Marche salope s’impose pour sensibiliser et lutter contre le viol. Seule en scène, Céline Chariot nous reproduit dans sa toute première réalisation théâtrale certains de ses rêves – ou cauchemars.

Elle y aborde les faits, les chiffres, mais aussi les amnésies traumatiques, les troubles de la mémoire des victimes de viol. Elle travaille la question pour sortir de son mutisme, pour que la honte change enfin de camp.

Photographe de formation, c’est tout un univers qu’elle a réussi à créer pour nous transporter dans une thématique grave. La photographie lui paraissait à elle seule insuffisante pour traiter du sujet. Une thématique grave certes, mais une manière de l’aborder comme un acte de résistance poétique.

"Je voulais trouver un autre angle d’attaque : par le sensible et la poésie pour parler de quelque chose qui est trash. Je me suis relevée d’une amnésie traumatique et je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose. En tant que victime, il me manquait quelque chose en art vivant. Ce qui me manquait le plus, c’était d’être confrontée à quelqu’un de vivant, ne fut-ce que pour trouver des espaces de parole. Le vivant autour du viol est très compliqué. J’avais envie de l’aborder quand même, même si on sait que l’on prend des risques parce que ça dérange", explique la Céline Chariot.

Le viol est un processus conscient d’intimidation. C’est une affaire de pouvoir, de jouissance et de domination

L’amnésie traumatique, pour rappel, représente l’incapacité clinique de se rappeler d’événements traumatisants parce que le cerveau opère une dissociation.

Sortir de la culture du viol

En Belgique, en 2020, selon les chiffres d’Amnesty International et de SOS Viol, 20% des femmes ont été victimes de viol et près de la moitié des Belges ont déjà été exposé.es à des violences sexuelles. 53% des affaires de viol sont classées sans suite et 77% des répondant.es estiment que la Justice n’est pas efficace pour retrouver les auteurs de violences sexuelles. En France, une femme subit un viol toutes les huit minutes.

Des chiffres à prendre avec des pincettes comme le justifie Céline Chariot : "C’est ce qu’on appelle le "chiffre noir". Il y a peu de littérature en Belgique à ce sujet. On pense que les chiffres sont sous-estimés à cause du mutisme. Il y a énormément de femmes qui ne parlent pas et ne parleront jamais".

Des données mises en évidence dans la pièce et qui font déjà froid dans le dos. Dans Marche salope, les termes sont exprimés, les points sont remis sur les "i" comme un nouveau traitement médiatique et scénographique.

Au-delà de la force de sensibilisation, c’est tout un système structurel que la réalisatrice dénonce en pointant les failles du doigt et en sortant de la passivité, en représentant le point de vue des femmes comme sujet principal. "El violador eres tú" (le violeur c’est toi) comme scandent les Chiliennes depuis 2019. Elle souhaite en ce sens sortir du victim blaming – qui consiste à déresponsabiliser l’auteur du viol en retournant la culpabilité sur la victime – et de la culture du viol pour dire "ne nous dites pas comment nous comporter, dites-leur de ne pas violer".

Elle développe : "Le viol est un processus conscient d’intimidation. C’est une affaire de pouvoir, de jouissance et de domination. Cela nous amène à la thématique de la culture du viol : ce sont tous de processus qui responsabilisent la victime et invisibilise le viol de manière générale. C’est un ensemble de pratiques qu’on doit chacun.e déconstruire au quotidien".

Le nom de la pièce n’est d’ailleurs pas choisi au hasard puisque "Marche Salope" fait référence au SlutWalk, né à Toronto en 2011 après qu’un officier de police a déclaré "Si vous voulez éviter de vous faire violer, il faut éviter de s’habiller comme une salope".

"On est tenue responsable du désir qu’on peut susciter dans les yeux d’un homme. Le viol est un crime qui transforme la victime en fautive", souligne la metteuse en scène. En Belgique d’ailleurs, toujours selon les chiffres d’Amnesty International, 48% des hommes et 37% des femmes estiment qu’une victime peut être en partie responsable de son agression dont 16% à cause de la tenue vestimentaire jugée "inappropriée".

Un safe space

Marche salope comporte un message d’espoir, d’onirisme, pour laisser respirer la pièce. C’est dans cette optique que Céline Chariot travaille main dans la main avec des associations pour qu’à chaque représentation, il y ait un.e thérapeute et une séance de discussion avec le public. Un endroit de "safe space" pour permettre à chacun.e de s’exprimer. "J’aimerais qu’il y ait à chaque fois un espace de médiation après chaque représentation. Pour moi, c’est une obligation. Je ne suis pas psy. Je reçois énormément de messages après le spectacle et je ne peux pas gérer ça toute seule. Il me faut du relais", termine-t-elle.

La pièce Marche Salope sera jouée le 3 mai à 14h au Manège Fonck et est également à découvrir les 11 et 12 mai prochains à Mons arts de la scène (MARS) dans le cadre du "focus guerrière" qui prône l’émancipation et la liberté de disposer de son corps.

La veille, le 10 mai, une activité de collage féministe sur les violences sexuelles sera également organisée autour du lieu.



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