Après la défaite de Macron, la France ingouvernable ? "Il va falloir de l’imagination"
AFP
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6/21/2022 10:14:41 AM - Publié par webmaster@ekilafrica.com  


Une défaite pour Emmanuel Macron : le deuxième tour des élections législatives en France place le président de la République dans une situation très difficile face à une fulgurante avancée de l’extrême droite du Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen et un front uni à gauche, la Nupes sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon, qui n’arrive cependant pas à transformer l’essai.
Ensemble ! est très loin d’une majorité absolue : avec 245 députés sur 577 en comptant ses alliés, il lui en manque 44 pour gouverner.

Des proches du président ne sont pas élus, dont Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale et Christophe Castaner, chef de file des députés En Marche, ainsi que trois des 15 ministres en lice, Brigitte Bourguignon (Santé), Amélie de Montchalin (Transition écologique) et Justine Benin (Mer) qui devraient démissionner ce qui va provoquer un remaniement.

La surprise : l’avancée fulgurante de l’extrême-droite

Démentant tous les sondages qui le créditaient de 20 à 50 sièges, l’extrême droite crie victoire et fait une entrée en force à l’Assemblée nationale, avec 89 députés contre 8 élus dans l’ancienne législature en 2017.

Le RN revendique ainsi d’être le "premier parti d’opposition" au Parlement et, pour un parti endetté, il pourra compter sur une nouvelle manne financière.

Sans scrutin proportionnel et sans alliances, le RN obtient un groupe trois fois plus nombreux que celui qu’avait présidé son père Jean-Marie Le Pen de 1986 à 1988 avec 35 députés.

La surprise est d’autant plus grande que le système majoritaire devait le désavantager, surtout après une campagne en demi-teinte. Le RN peut se proclamer premier parti d’opposition aux dires de Marine Le Pen qui quitte définitivement sa présidence pour diriger son "très grand" groupe à l’Assemblée "de plus en plus nationale". Un congrès à l’automne permettra d’élire de nouveaux dirigeants du parti.

Pour Gilles Ivaldi, spécialiste du programme économique du RN au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur franceinfo, il y a trois explications : une campagne du RN "discrète et furtive, mais sur une thématique qui était au cœur des préoccupations des Français : le pouvoir d’achat", une "stratégie de dédiabolisation du RN qui n’a jamais eu autant d’effet", et des cadres "qui sont parvenus à s’ancrer localement". Illustration de cet enracinement local : plusieurs départements n’ont que des élus RN, comme l’Aude ou les Pyrénées-Orientales.

Pari raté pour la Nupes

Numériquement, le RN arrive cependant derrière l’alliance issue d’un accord entre La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et les écologistes (EELV), qui avec 131 députés sera la première force d’opposition, dont 72 pour son principal parti, La France Insoumise.

L’alliance des gauches passe à côté de son objectif : conquérir Matignon avec Jean-Luc Mélenchon comme Premier ministre. Celui-ci quitte l’Assemblée car il n’était pas candidat à sa réélection mais il affirme qu’il restera dans l’arène politique "jusqu’à son dernier souffle".

Une assemblée très fragmentée donc, notamment à cause d’un taux d’abstentions proche du record à 54%, et si l’on en croit un sondage IPSOS pour France Info qui indique que trois quarts des électeurs d’Emmanuel Macron se sont abstenus en cas de duel RN-Nupes.

Au-delà de la polarisation entre extrêmes, du point de vue numérique, la balance des forces en présence à l’Assemblée nationale penche nettement à droite malgré le poids de la Nupes.

Majorité introuvable ?

Dans ces conditions, comment gouverner ? C’est le casse-tête qui se pose dès ce lundi à la présidence de la République. Sa majorité n’en est plus une.

Chercher des alliés à droite ne sera pas aisé, à gauche encore plus. Les Républicains avec 64 élus disent non à un accord de gouvernement. Et peu y croient au sein du parti du président Macron. LR installés dans l’opposition pourraient alors venir appuyer des projets gouvernementaux "au cas pas cas", avec chaque fois une discussion, un marchandage, à la clé… Et trouver la bonne quarantaine de soutiens manquants sera compliqué.

Elisabeth Borne a déjeuné ce lundi avec le président de la République et le patron du MoDem, François Bayrou, ainsi que l’ex-Premier ministre et patron d’Horizons, Edouard Philippe. "Depuis hier soir, elle a commencé à identifier des députés de droite ou de gauche qui pourraient voter certains textes de la majorité", affirme son entourage.

On risque le blocage, majeur, sur des textes importants, comme les lois de financement de la sécurité sociale ou le projet de loi sur le pouvoir d’achat qui devrait constituer un premier test. Le député-maire RN de Perpignan Louis Aliot suggère d’intégrer des mesures défendues par le RN, comme la baisse de la TVA. "Si demain le gouvernement accepte des amendements qui permettent d’aller en ce sens, je suis persuadé que mes collègues députés feront l’effort de voter".

Dès lors, une option est dans tous les esprits, c’est la dissolution pour tenter de faire émerger une vraie majorité, un scénario dangereux qui peut se retourner contre celui qui le tente et aussi détourner les députés sollicités chez LR, l’UDI, LFI, le PS, pour appuyer l’action d’un gouvernement minoritaire qui seront plus enclins à durcir leurs positions pour se profiler en vue d’un possible nouveau scrutin.

Ce lundi, la porte-parole du gouvernement, réélue dans la 12e circonscription de Paris, Olivia Grégoire, a écarté l’hypothèse d’une dissolution par le président, se bornant à annoncer un nouveau gouvernement "dans les prochains jours".

La Première ministre Elisabeth Borne s’est imposée de justesse dans sa circonscription dans le Calvados (avec 52,46% des suffrages) et est déstabilisée. Mais pour l’instant la question de sa démission ne se pose officiellement pas et Elisabeth Borne appelle à une "majorité d’action". Une telle démission, même suivie de la formation d’un gouvernement fort remanié serait néanmoins un signal conséquent après le mauvais résultat du scrutin de dimanche.

"Ma hantise, c’est que le pays soit bloqué", a reconnu la porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire, en résumant les craintes de l’exécutif. "Il va falloir de l’imagination, de l’audace, de l’ouverture", a-t-elle estimé, réitérant l’idée d’une main tendue à destination de "tous ceux qui veulent faire avancer le pays".

La France Insoumise promet déjà une motion de défiance le 5 juillet, premier jour de travail de l’Assemblée, pour faire tomber le gouvernement. Le secrétaire général du parti LR, Aurélien Pradié, a indiqué qu’il ne voterait pas la motion de censure. "Il n’est pas question, pour ma part, que je vote un projet de gouvernement commun avec La France insoumise", a-t-il déclaré sur Franceinfo. "Je ne me sens pas les mêmes valeurs républicaines et je ne me sens pas le même projet pour l’avenir de notre pays".

La bataille de la présidence de la Commission Finances

La bonne prestation du RN déclenche déjà une polémique à l’Assemblée : fraîchement élu, le député de l’Oise Philippe Ballard lance les hostilités en réclamant la présidence de la très puissante Commission parlementaire des Finances. Le nom de Marine Le Pen est cité pour ce poste.

Ce poste est dévolu depuis une quinzaine d’années au principal parti d’opposition, ce que le RN se considère désormais. Le gouvernement a une lecture plus nuancée des règles et estime que si le poste "doit aller constitutionnellement à un groupe d’opposition" mais qu'"il n’y a pas de certitude quand on lit la Constitution".

Un vote aura lieu le 30 juin. Aux yeux de Marine Le Pen, la NUPES est composée de quatre groupes parlementaires distincts, et ne peut donc prétendre en tant que telle à cette présidence de commission.

La députée LFI Manon Aubry ne voit pas du tout les choses de la même façon : "La Nupes est loin devant le Rassemblement national", explique-t-elle à BFM. "La Nupes est très claire, elle va avoir un candidat en commun, tous les élus de la Nupes vont voter pour ce candidat commun […] et donc en principe le Rassemblement national mathématiquement ne peut pas obtenir cette présidence".

Pour en être sûr, la Nouvelle union populaire écologique et sociale se constituera comme un seul groupe à l’Assemblée nationale, propose Jean-Luc Mélenchon : "Personne n’avait vu arriver cette situation". Il ne souhaite pas "donner le sentiment que nous amplifions la confusion" "par notre propre éparpillement". Reste à voir ce que décideront ses troupes. L’homme fort de la Nupes a déjà évoqué le sujet avec le premier secrétaire du PS Olivier Faure et le chef d’EELV Julien Bayou, mais le Parti socialiste, Europe Ecologie-Les Verts et le Parti communiste refusent cette proposition.

Nul doute que le titre de "première force d’opposition" sera l’objet de toutes les batailles. Et derrière cette présidence de Commission, le RN envisage de briguer d’autres postes à l’Assemblée comme une vice-présidence ou une autre présidence d’une Commission permanente, elles sont au nombre de huit.

Refondation reportée

En parallèle, l’autre voie imaginée par l’Elysée pour discuter de l’évolution de la France semble en perte de vitesse.

La réunion prévue mercredi avec les partenaires sociaux, élus locaux et associations pour lancer les premiers travaux du Conseil national de la refondation (CNR) est annulée. Annoncée par Emmanuel Macron début juin, cette nouvelle instance devait rassembler des "forces politiques, économiques, sociales, associatives, des élus des territoires et des citoyens tirés au sort" pour discuter des réformes envisagées par le gouvernement. Le Conseil aurait pu être le lieu où le président de la République tend la main à ses opposants.

Indépendance industrielle, militaire et alimentaire de la France, du plein-emploi, de la neutralité carbone, des services publics étaient à l’agenda mais aussi et surtout "la renaissance démocratique" autrement dit une réforme institutionnelle, qui substituerait la proportionnelle au scrutin majoritaire à deux tours, une idée largement partagée au sein des partis politiques français à laquelle les derniers réticents LR pourraient se joindre.

Nouveaux visages

Le mandat de 5 ans des députés ne commence officiellement que ce mercredi.

D’ici là, les nouveaux élus, parmi lesquels d’emblématiques novices en politique comme Rachel Kéké, ancienne femme de chambre devenue députée de gauche, doivent venir s’enregistrer et récupérer leur mallette de député contenant l’écharpe tricolore.

Mais l’hémicycle ne comptera que 315 femmes contre 362 hommes et sera moins féminisé que lors de la précédente législature.

C’est un élu du RN, José Gonzalez, 79 ans et doyen d’âge, qui ouvrira mardi 28 juin la nouvelle législature.

Parmi les autres nouveaux élus, Edwige Diaz, 34 ans symbolise la percée du parti en Gironde. Elle en est une figure montante, Julien Odoul, 37 ans, historien et ex-mannequin très présent sur les réseaux sociaux et à la télévision fait figure de trublion du parti dans l’Yonne notamment pour s’en être pris à une femme voilée au Conseil régional, Laurent Jacobelli, 52 ans, ancien porte-parole de Marine Le Pen, élu en Moselle et un ancien boxeur, Antoine Villedieu, 33 ans, dit "Nino".

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